" François
Mitterand réunit et exalte en lui les humaines contradiction
françaises "
J. Lacouture.
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SUR UN ITINERAIRE SINUEUX
Les années Vichy
François Mitterrand est né le 26 octobre 1916 à
Jarnac en Charente. Il reçoit une éducation catholique.
Sa famille est fortement marquée à droite. En 1934,
il monte à Paris pour étudier à la faculté
de droit et à la Fondation nationale des sciences politiques.
Séduit par les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque, il
a été dès 1934 membres des volontaires nationaux,
l'organisation de jeunesse de cette ligue d'extrême droite
devenue, après sa dissolution en 1936, le Parti Social
Français. Mobilisé en septembre 1939, le sergent
Mitterrand du 23e régiment d'infanterie coloniale blessé
par un éclat d'obus près de Verdun le 16 juin 1940
et fait prisonnier en Allemagne. A 25 ans il partageait ainsi
le sort de 1 650 000 prisonniers de guerre. En décembre
1941, il s'évade prés trois tentatives manquées.
L'exploit ne fut pas unique : 16 000 tentatives réussies
pour la seule année 1941. Installé à Vichy
dès janvier 1942 (il y gardera un domicile jusqu'en décembre
1943), il occupe un emploi contractuel, deux postes relativement
subalternes, d'abord à la Légion Française
des Combattants puis en mai 1942, au commissariat général
aux prisonniers de guerres et rapatriés et aux familles
de prisonniers de guerre. Etablit par une loi du 14 octobre 1941
ce commissariat a été dirigé jusqu'en janvier
1943 par M. Pinot. Après son renvoie par P. Laval en janvier
1943 le commissariat prendra une orientation pro-nazie. Mais jusqu'à
cette date le commissariat ne joue pas un rôle directement
politique et se consacre surtout à la réinsertion
des prisonniers rapatriés, créant une " maison
de prisonnier " dans chaque département et près
de 2700 " centres d'entraides " à l'échelon
local, essentiellement en zone occupée. Cet organisme s'inscrit
pourtant a bien des égards dans le droit fil de la politique
du régime. Son action civique et sociale était entièrement
placée sous l'égide de la Révolution Nationale.
Selon l'historien C. Lewin : " L'attitude des cadres du commissariat
aux prisonniers de guerre était dès le début
anti-allemand donc anti-collaborationniste. Quant au régime
de Vichy, il lui apportèrent pour la plupart, à
l'origine leur soutient. Toutefois l'ambiguïté de
ses relations avec l'occupant et son glissement constant sur la
pente de la collaboration augmentèrent leur méfiance
et précipitèrent leur éloignement. Leur action
fut tout autant civique et sociale, apolitique et attentiste ".
En janvier 1943 Pinot est révoqué par Laval. F.
Mitterrand, âgé de 26 ans et chef de service de l'Information
du commissariat pour la zone sud. Il conserve cependant un poste
à la tête des centres d'entraides, c'est à
ce titre qu'il reçoit la francisque gallique sans doute
en mars-avril 1943, époque ou les attributions devenues
plus sélectives, récompensaient un pétainisme
bon teint.
Il ne fait pas de doute que Mitterrand ait été maréchaliste,
à savoir plein de confiance mais aussi d'admiration pour
l'homme Pétain. Il déclare dans une lettre du 13
mars 1941 : " j'ai vu le maréchal au théâtre
[
] il est magnifique d'allure, son visage et celui d'une
statue de marbre. " Il aura d'ailleurs l'occasion de le rencontrer
le 15 octobre 1942.
Qu'il ait été pétainiste, autrement dit que,
dans un premier temps, il se soit senti relativement à
l'aise dans le nouveau régime, trouvant des vertus à
la Révolution nationale est également peu contestable.
On en jugera par le ton et e contenu d'une lettre, publiée
par P. Péan et datée du 22 avril 1942. Non seulement
il avoue n'être pas particulièrement inquiet du retour
aux affaires, en avril 1942, de Laval, qui doit selon lui faire
ses preuves, mais il condamne la fonctionnarisation de la Légion
française des combattants (L.F.C.), lui préférant
le modèle du Service d'ordre légionnaire (S.O.L.),
que vient de mettre en place Darnand, instrument d'un pétainisme
musclé.
Autant qu'on puisse le suivre, F. Mitterrand paraît osciller
entre des hommes de la droite extrême et des pétainistes
moins aventureux. Parmi les premiers, installés dans les
allée du pouvoir, citons G. Jeantet, membre de la Cagoule
(organisation secrète d'extrême-droite), chargé
de mission au cabinet civil de Pétain, l'un de ses deux
parrains lorsqu'il reçut la francisque. Dans le deuxième
groupe exercent sur lui leur influence F. Valentin, le second
directeur de la L.F.C., M. Pinot déjà cité
et Antoine Mauduit, sorte de moine-soldat.
Mais Mitterrand fut - comme le plus grand nombre - adversaire
du collaborationnisme, cette accommodation pleine et entière
avec l'occupant nazie. Notons aussi qu'il demeura imperméable
à tout ethnocentrisme et donc à l'antisémitisme
d'Etat, même si la politique à l'encontre des Juifs
ne paraît pas l'avoir préoccupé à l'époque
Voilà ce qu'on peut dire sur ces années Vichy.
Mitterrand résistant
Résistant
F. Mitterrand l'a été incontestablement, à
partir de l'été 1943. Il est alors devenu responsable
d'un mouvement de prisonniers résistants. Son parcours
relativement original, témoigne d'un désir d'autonomie
comme du souci d'être reconnu par des instances de la résistance
intérieure et par Charles de Gaulle.
En mars 1943, le tout nouveau RNPG ou groupe " Pinot-Mitterrand
" obtient le soutien et le financement de l'O.R.A. qui regroupe
des militaires, jusque là fidèles à Vichy,
passés à la résistance après novembre
1942 (dissidence giraudiste). A u printemps 1943, E. Claudius-Petit,
numéro 2 du mouvement Franc Tireur et l'un des responsables
des Mouvements unis de résistance (M.U.R.), rencontre à
Lyon F. Mitterrand : le R.N.P.G. cherche à s'insérer
dans l'organisation unifiée de la Résistance intérieure.
Quelques semaines plus tard il obtiendra plus de succès
auprès d'un autre responsable des M.U.R., Emmanuel d'Astier
de la Vigerie dirigeant du mouvement libération sud. E
réalité la clef du problème se trouve à
Alger, au CFLN créée en juin 1943. L'accueil fut
difficile : " Un mouvement de résistance des prisonniers
de guerre ? Et pourquoi pas celui des coiffeurs !? " avait
lancé le général de Gaulle lors de sa rencontre
avec Mitterrand. En réalité les mouvements de résistance
voulaient la fusion entre les différentes organisations
d'anciens prisonniers, dans la logique de l'unification générale
en cours.
Le 15 novembre 1943 F. Mitterrand s'envole pour Londres grâce
à l'aide de l'ORA. Le 2 décembre il est à
Alger. Sa rencontre avec de Gaulle se passe mal. Le général
demande à ce que les organisations de prisonniers fusionnent
sous l'égide de M.R.P.G.D., seule condition pour recevoir
matériel et argent. Mais F. Mitterrand refuse la tutelle
du mouvement de Michel Cailliau. Les services d'Alger ne facilitent
pas son retour en France. Pourtant très vite les talents
de négociateur et d'homme d'appareil de Mitterrand s'expriment.
Il s'emploie fort de ce qu'il a compris à Alger et à
Londres, à jouer un rôle prépondérant
dans la fusion exigée par Alger. L'opération n'est
pas simple elle consiste à unifier un mouvement gaulliste,
une branche du Front national communiste et une organisation pétainiste
et giraudiste dont le rôle va être décisif.
Le 12 mars 1944, sous l'égide du CNR les responsables des
3 mouvements se rencontrent clandestinement à Paris et
fondent le MNPGD : Mitterrand est l'un des 4 membres du comité
directeur national.
Ne regroupant que des prisonniers, il n'était en rien comparable
aux grands mouvements, Combat, Libération-Sud etc.. Reste
qu'il figurait dans l'organigramme de la France combattante. Ses
activités valurent à Mitterrand comme à ses
proches d'être traqués par l'occupant et la milice
devenue la police politique de Vichy. Rattaché au F.F.I.
leurs groupes d'actions mis sur pied par Patrice Pelat et Jean
Meunier participent à la Libération de Paris. François
Mitterrand fut l'un des quinze secrétaires généraux
des départements ministériels faisant fonction de
gouvernement par intérim
Génération Mitterrand
L'ancien
Président est l'exemple type du maréchalo-pétainiste
devenu résistant. Son parcours fut celui de certains Français
engagés. La principale difficulté réside
dans l'évaluation chronologique du passage de l'un à
l'autre.
Le premier décrochage est vraisemblablement sa démission
du Commissariat au reclassement des prisonniers à la suite
de la révocation en février 43 par P. Laval de M.
Pinot. Dans le même temps tout en demeurant de sensibilité
maréchaliste il rencontre H. Freynay (Combat) et des officiers
de l'O.R.A.. Mais c'est certainement quand il fut convaincu au
début de l'été 43, l'évolution de
l'Algérie aidant (installation de bases du futur gouvernement
provisoire) que la Résistance devenait politiquement crédible,
qu'il rejoignit ses rangs sans plus jouer sur les deux tableaux.
Le cas du jeune Mitterrand, c'est celui d'une trajectoire fréquente
pour l'époque, dont l'épopée officielle de
la Résistance a disqualifié le récit, le
réduisant à l'état de secret encombrant.
Des milliers de Français n'ont pas trouvé leur place
dans cette mise en scène qui a longtemps opposé
une France résistante, supposée majoritaire, à
une France pétainiste supposée minoritaire. Ils
ont vécu une autre histoire où l'on pouvait être
un partisan convaincu de la Révolution nationale avant
de devenir résistant, ou l'on restait parfois maréchaliste
après être entré en résistance autant
de situations fréquentes avec les itinéraires de
la minorité de dissidents et de résistants de première
heure. Pour l'historien américain Robert Paxton, l'histoire
personnelle de Mitterrand est significative : " l'histoire
personnelle de F. Mitterrand pendant la guerre fait de lui un
Français plutôt typique, plutôt représentatif.
Beaucoup de Français ont sincèrement cru, au début,
que Pétain allait pouvoir faire mieux, beaucoup ont cru
pouvoir occuper des fonctions techniques à Vichy pendant
un an ou deux. Mais la Révolution nationale et l'engrenage
de la Collaboration rendaient la situation impossible et nombre
d'entre eux ont pris leurs distances ou ont changé de camp.
C'est d'ailleurs la tragédie de Vichy d'avoir recruté
de bonnes volontés qui ont mis du temps à s'apercevoir
qu'au lieu de créer leur union sacrée, comme en
14, le régime a commencé par des exclusions. C'est
un point essentiel. "
Les ambivalences et les ambiguïtés, les itinéraires
en clair-obscur n'ont pus supporter, une fois la paix revenue,
la lumière irradiante du gaullisme. Bien sûr des
hommes et des femmes qui passèrent du pétainisme
exalté au maréchalisme inquiet, du légalisme
à la dissidence, de Vichy à la Résistance,
durent alors se replier sur leurs souvenirs, faire de ces années
une affaire intime, devenue inavouable avec le temps.
* * *
Certains
hagiographes de l'ancien président ont tenté de
travestir les faits. On a reproché à F. Mitterrand
lui-même de " fonctionner au trou de mémoire
et de manifester une " incapacité à revenir
sur soi ". Mais n'est-ce pas en définitive lui faire
porter seul le défaut de toute une génération
? Car cette histoire c'est d'abord celle de tout un courant de
la résistance, voire d'une partie des Français.
Certains ont continué à chercher le cadavre qui
se cacher dans quelques malles secrètes de l'Elysée.
Mais cela nous expliquera-t-il les ambivalences d'un homme qui
appartient autant à son passé qu'à notre
Temps ? Serons-nous mieux éclairés sur la génération
Mitterrand qui a traversé la guerre et porte encore la
trace des ambiguïtés de l'époque ? Le cas Mitterrand
et l'idée qu'il s'est faite de la gestion des séquelles
renvoient à une évidence : l'ex-président
est un homme de sa génération, qui est celle de
la défaite, de l'occupation, de Vichy mais aussi celle
de la Résistance, de la Libération mais encore celle
de l'épuration, des dilemmes de l'après-guerre et
de la Reconstruction. Cette évidence, pour la comprendre,
il est nécessaire d'embrasser d'un seul regard toute la
période de la crise. Les clivages de l'occupation passèrent
à l'intérieur d'une même conscience tandis
que l'individu, lui, tentait de traverser l'épreuve en
restant aussi intact que possible. Ces clivages d'il y a un demi-siècle
expliquent sans doute même s'ils ne les justifient pas les
positions de l'ancien président sur ces questions si sensibles.
L'histoire est une relecture et une réécriture constante
du passé et rien ni personne n'interdisent de s'interroger
de manière récurrente sur cette période,
sur sa signification profonde, sur ses prolongements éventuels.
A condition de ne pas perdre de vue le respect de la vérité,
à condition de ne pas utiliser le souvenir comme un alibi
politique et une arme polémique.
La première obligation du devoir de mémoire est
le respect de la vérité en tout cas d'une certaine
humilité face à la tragédie et à la
complexité de ces années terribles. La seconde est
de ne pas exiger des générations passées
la lucidité et le courage dont on peut faire preuve après
coup en temps de paix, alors que la France n'a rien connu de comparable
au cataclysme de la seconde guerre mondiale depuis 1945. La polémique
sur le passé de F. Mitterrand constitue une des manifestations
les plus aiguës du " syndrome de Vichy ". Non seulement
ce passé ne passait pas, mais il remontait brusquement,
tel un malaise parvenu à son paroxysme. Tandis que la clameur
s'amplifiait, l'affaire Mitterrand apparaissait comme le sommet
d'un processus dans lequel se mêlaient toutes les attentes
insatisfaites, les ambiguïtés entretenues ou les illusions
tenaces sur une possible résorption volontariste du traumatisme
engendré par les souvenir douloureux de l'an 40.
Stak
Bibliographie
Ouvrages généraux
Lacouture J., François Mitterrand une histoire de français,
Le Seuil, Paris, 1998.
Péan P., Une jeunesse française. François
Mitterrand 1934-1947, Fayard, Paris, 1994.
Ouvrages spécialisés
Lewin C., Le retour des prisonniers de guerre français,
Paris, P. U. Sorbonne, 1986.
Rousso H., Le syndrome de Vichy, de 1944 à nos jours,
Le Seuil, coll. points histoire, Paris, 1987, 1990.
Conan E., Rousso H., Vichy, un passé qui ne passe pas,
Gallimard, coll. Folio histoire, Paris, 1996.
Revues
L'histoire N°spécial, " Le dossier Mitterrand
", N°253, Avril 2001.
" Entretien de Robert Paxton par Eric Conan ", L'Express,
16 juillet 1992.
Témoignages
Mitterrand F., Ma part de vérité, Fayard,
Paris, 1969.
Bleu, Blanc, Rouge : il faut
choisir !
Les Français ? Un peu collabos, un peu fainéants,
un peu résistants, un peu communistes et staliniens : on
s'arrange, on discute, on aime bien discuter, hésiter,
dire oui et penser non. La franchise nous manque. Le courage aussi.
L'intelligence nous pèse, comme une névrosée
qui justifie ses conneries à longueur de journée.
On aime bien le côté amoureux des terroristes, mais
aussi l'ordre et la discipline des dictateurs. Hitler n'était
pas si mauvais que cela, il nous protégeait des Américains
et de Staline. Et puis Staline avait de bonnes idées :
l'égalité, le bonheur pour tous
Encore y a
pas longtemps, on faisait l'apologie d'Arafat, un pur, un vrai
résistant. Un gars qui planque plus d'un milliard de dollars
en Suisse alors que son peuple a faim. Arafat ce héros.
On accueille Bokassa ou Khomeyni. Pol Pot fait tranquillement
ses études à la Sorbonne et repart éduquer
son peuple au Cambodge.
En 40, on avait Pétain ce grand Maréchal. Mieux
valait s'arranger avec Hitler plutôt que de lui faire la
guerre. Lâcheté ? Non. Diplomatie. Français
? Un peu lèche bottes, un peu moralisateur. La France,
pays des droits de l'homme
du fromage et du vin partagés
avec les dictateurs !
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